En 1800, un décret interdisait aux Parisiennes de porter un pantalon sans autorisation spéciale de la préfecture. Cette règle, rarement appliquée mais jamais complètement abrogée jusqu’en 2013, inversait la question de la jupe comme évidence dans la garde-robe féminine.
L’effacement progressif de la jupe dans les rues occidentales ne s’explique pas par un texte de loi, mais par une série de décisions individuelles, de pressions sociales et de mutations culturelles. Les chiffres l’attestent : depuis la fin des années 1970, la jupe s’éclipse peu à peu du quotidien, même si certains milieux professionnels ou religieux continuent d’imposer leurs codes vestimentaires.
La jupe, un vêtement emblématique au fil des siècles
Depuis l’Antiquité, la jupe occupe une place centrale dans la garde-robe. Au départ, elle n’est qu’une étoffe enroulée, adoptée par tous, hommes comme femmes. Mais à mesure que les siècles défilent, la jupe se charge d’un nouveau sens : à partir du XIXe siècle, elle devient clairement associée à la féminité. Le XXe siècle vient bousculer ces repères. À Paris, les années 1920 voient la jupe raccourcir, gagner en légèreté et coller à l’air du temps. Les figures créatives et les icônes de mode réinventent les règles.
Pour illustrer ces bouleversements, deux noms s’imposent :
- Mary Quant introduit la minijupe à Chelsea, créant un choc culturel et inspirant une jeunesse en quête de liberté.
- En France, Brigitte Bardot incarne l’audace et la fraîcheur. Sa jupe légère devient un symbole d’émancipation.
À cette époque, la jupe ne se contente plus de recouvrir le corps : elle revendique, questionne, accompagne la lutte pour l’indépendance et une nouvelle image de la femme. La mode, attentive au monde qui change, multiplie les variantes : plissée, trapèze, jupe-culotte. D’une ville à l’autre, la jupe s’adapte et raconte l’histoire des sociétés en pleine mutation.
Dans les années 1970, la jupe-robe devient le signe d’une liberté acquise, celle de choisir sa tenue sans s’exposer au jugement. Pourtant, au fil du temps, alors que la société évolue, la jupe, omniprésente jusque-là, commence à se faire plus discrète.
Comment les normes sociales ont redéfini la garde-robe féminine
Le pantalon s’impose peu à peu comme le vêtement de référence. Ce changement n’a rien d’anodin. Pendant plus d’un siècle, la législation parisienne réservait le pantalon aux hommes, interdisant son port aux femmes sans autorisation spéciale. Il faudra attendre l’après-guerre et les mouvements en faveur de la libération des femmes pour que les barrières tombent. La généralisation de la bicyclette, l’essor de la vie urbaine : autant de facteurs qui rendent la jupe peu pratique, voire risquée.
Adopter le pantalon, c’est revendiquer une place nouvelle, exiger l’égalité. De nombreuses jeunes filles optent alors pour le jean, pratique et discret. L’école, autrefois synonyme de jupe obligatoire, accepte progressivement le pantalon. Les lignes bougent. Hommes et femmes partagent désormais confort et liberté de mouvement. Derrière ce glissement, la mondialisation du style et la recherche d’efficacité accélèrent l’uniformisation.
Pour mieux saisir cette évolution, voici ce qui a changé :
- Les hommes et femmes se distinguent moins par leur apparence, les frontières vestimentaires s’estompent.
- Le pantalon féminin s’impose, se décline, ne suscite plus la polémique et s’intègre à tous les univers.
La jupe, quant à elle, se retrouve reléguée à des moments solennels ou à l’intimité. Les mentalités se transforment, la mode suit. Ce qui était autrefois interdit s’est banalisé, ce qui était la norme devient marginal.
Pourquoi la jupe s’est-elle effacée du quotidien ?
La jupe ne s’efface pas du paysage vestimentaire du jour au lendemain. Son recul s’explique par une multitude de raisons. Le pantalon s’impose d’abord pour des raisons pratiques, puis devient une évidence. Les femmes veulent affirmer leur autonomie, s’affranchir des carcans imposés par l’histoire. Les symboles de la libération des femmes évoluent : porter un pantalon, c’est d’abord marquer sa différence, puis c’est un geste ordinaire.
Les usages changent, notamment dans les années 1960. À la plage ou en ville, les règles volent en éclats. Brigitte Bardot, figure emblématique, incarne cette nouvelle liberté. Sa manière de s’habiller, largement relayée dans les médias, influence massivement l’imaginaire collectif. Porter une jupe n’incarne plus forcément la modernité ou la revendication.
Le quotidien impose ses impératifs. Les parcours professionnels se diversifient, les journées s’accélèrent, la mobilité devient la règle. Le pantalon, synonyme de praticité, répond à ces attentes : dans la rue, au bureau, à l’école, il assure protection, aisance et parfois anonymat, là où la jupe ne suffit plus.
Voici les raisons principales de cette mutation :
- Le vêtement est désormais jugé sur son confort et sa capacité à garantir l’égalité dans l’espace public.
- La jupe se spécialise, réservée à des moments particuliers ou à des contextes précis.
La mode prend acte de ce changement, sans regret. Le vestiaire féminin s’oriente vers l’efficacité, tout en poursuivant la quête d’une égalité sans compromis entre les genres.
Regards croisés : entre stéréotypes persistants et réappropriations contemporaines
Le statut de la jupe demeure complexe. Longtemps perçue comme l’apanage du féminin, elle continue de cristalliser des stéréotypes. Les habitudes évoluent, mais les réactions changent peu. Qu’on soit à Paris ou ailleurs, une femme en jupe courte, hors des festivités, attire encore les regards, voire les remarques. La jupe reste, dans certains esprits, associée à la vulnérabilité ou à la provocation.
Mais aujourd’hui, les stratégies de réappropriation se multiplient. Les jeunes générations repoussent les limites. Dans l’espace public, sur Instagram ou TikTok, la jupe prend de nouvelles significations. Elle devient un outil d’affirmation de soi, un marqueur de liberté, parfois même une riposte aux normes dominantes. Des hommes aussi s’approprient ce vêtement. Porter une jupe ou une jupe-robe n’est plus une exclusivité féminine. À Paris et dans d’autres villes françaises, des collectifs appellent à l’expression vestimentaire sans contrainte de genre.
Voici quelques signes de ce renouveau :
- La jupe s’invite dans les discussions sur l’égalité, la diversité et la lutte contre toutes formes de discrimination.
- Défilés, actions militantes, performances artistiques : les initiatives se multiplient et bousculent les idées reçues.
Ces dernières années, la tendance se confirme. Entre la persistance des vieux réflexes et l’émergence d’une diversité assumée, la jupe s’impose comme un objet de débat. Elle ne se limite plus à un rôle de vêtement : elle interpelle, elle questionne, elle provoque, parfois même elle déstabilise. La jupe, loin d’être reléguée au passé, continue d’écrire l’histoire à sa manière.


